14/02/2022
14/02/2022
Presse
france-culture

Ancien directeur de recherche à l’Institut de chimie de la matière condensée de Bordeaux, Jean-François Létard a sorti les pigments intelligents du laboratoire pour en faire une innovation industrielle. Inscrit dans le mouvement Deep tech, il est aujourd’hui à la tête d’une PME de 19 salariés.

 

Si la phosphorescence des matériaux ne nous est pas inconnue, nous la connaissons sur les aiguilles des réveils ou les petites étoiles collées au plafond des chambres d’enfants, jamais ce procédé n’avait encore été développé d’une manière efficace sur une route pour qu’il puisse résister à l’abrasion, l’usure, la pluie ou encore le gel.

Inaugurée en 2018 à Pessac, la première piste cyclable balisée avec la peinture photoluminescente développée par OliKrom fait depuis des émules. Prés de 80 communes comme Annecy ou plus récemment Brest ont choisi de sécuriser leurs voies à mobilité douce grâce à cette peinture qui s’illumine la nuit. Chargée de pigments qui emmagasinent la lumière le jour pour la restituer quand il fait sombre, elle offre aux usagers un guide lumineux visible pendant dix heures à 80 mètres de distance.

Nommés en 2020 pour le Prix de l’innovation de sécurité routière, ces marquages au sol innovants intéressent d’autant plus les élus locaux en charge de la voirie qu’ils peuvent aussi se substituer dans de nombreux cas à l’éclairage public. Un argument de poids pour le patron d’Olikrom, Jean-François Létard, qui nous explique, étude d’impact à l’appui, que le prix dix fois plus élevé de sa peinture luminescente comparé à celui d’une peinture classique offre une alternative nettement moins coûteuse qu’une installation électrique ou même solaire dans le budget des communes.

« Nous restons la solution la plus respectueuse de l’environnement actuellement disponible. L’analyse du cycle de vie de notre peinture comparée à toutes les autres solutions de balisage lumineux montre qu’en impact global, 1 km d’éclairage public par mâts lumineux équivaut à 184 kilomètres de tracé photoluminescent. »

En ce qui concerne la transition écologique, il est vrai que les infrastructures routières posent un vrai défi. Elles consomment des ressources et de l’énergie pour leur aménagement, leur entretien et leur exploitation.

Sans avoir besoin de mobiliser de gros moyens, simple et durable, la peinture phosphorescente représente une bonne alternative pour signaler les zones à risque, comme les passages piétons, les dos d’ânes, les virages dangereux ou les bretelles d’autoroutes.

Lauréate de l’appel à projets « Route du futur » opéré par l’Ademe dans le cadre du programme d’investissements d’avenir, c’est en partenariat avec Eiffage que la jeune pousse a développé ses produits de marquage. En dernière phase de certification, les automobilistes pourraient bien les voir apparaître dès cette année sur les routes et les autoroutes de France.

 

Des peintures réactives à la chaleur, aux gaz et aux chocs

Forte de ses premiers succès, la jeune pousse girondine s’est transformée en une entreprise industrielle florissante. En plus de ses laboratoires, elle s’est équipée d’une unité de production pour maîtriser la chaîne de fabrication, du pigment au produit fini.

Avec une croissance de 15% par an depuis sa création en 2014 et 30% l’année dernière, OliKrom détient un portefeuille de brevets et plusieurs dizaines de pigments intelligents qu’elle développe à la demande des clients. Le potentiel des couleurs intelligentes est énorme : thermochrome, photochrome, chimiochrome, piézochrome égrène Jean-François Létard.

Sans nous dévoiler la composition de ses peintures, encres et enduits qui reste son secret industriel, l’ancien chercheur en chimie organique au CNRS nous assure qu’il ne travaille pas avec des minéraux puisés dans la nature, mais des cristaux qui ont été synthétisés. Une fois combinés, ils ont la propriété de pouvoir changer de couleur sous l’effet d’un gaz, d’une pression, de la chaleur ou de l’humidité.

Imaginez un tuyau qui devient bleu en cas d’une fuite de gaz, rouge quand il est chaud ou vert s’il commence à rouiller. En un coup d’œil vous pouvez repérer un problème ou une anomalie.
À l’image du caméléon, OliKrom a par exemple développé avec Safran un matériau thermosensible pour ses moteurs. Pour Airbus, elle a mis au point une peinture piézochromique (sensible à la pression) qui permet de localiser les chocs sur la carlingue d’un avion.

Les applications sont en effet nombreuses et les demandes des industriels affluent que ce soit dans le secteur de l’automobile, la cosmétique, la santé ou encore la construction.

Bientôt une façade ou une toiture pourra changer de couleur selon la météo, couleur claire pour réfléchir la chaleur en été, couleur foncée pour au contraire l’absorber quand il fait froid. Sur le sol, elle pourrait atténuer les effets des puits de chaleur dans les villes.
Le chef d’entreprise ne nous dévoilera pas toutes les pistes sur lesquelles travaille son équipe de chercheurs et d’ingénieurs qu’elle met en moyenne deux à trois ans à développer mais il assure qu’il refuse les demandes les plus farfelues ou accessoires. Par soucis d’éthique, il préfère se concentrer uniquement sur celles qui ont une fonction utile et permettent un gain qu’il soit d’ordre écologique, économique ou sécuritaire.

À un rythme de 70 clients par an, l’entreprise étoffe sa gamme de produits qu’elle a commencé à vendre à l’international, en Europe, au Canada et en Afrique. À en croire Jean-François Létard, il faut s’attendre à voir les couleurs intelligentes sortir du laboratoire et entrer bientôt dans notre quotidien.